APPEL À COMMUNICATIONS
Visualités et visualisations du texte littéraire en régime numérique
Colloque international
17, 18 et 19 juin 2020
Université de la Sorbonne nouvelle
UMR THALIM (Sorbonne nouvelle / CNRS)
Date limite de soumission des propositions : 3 février 2020
Date de notification des propositions retenues : 17 février 2002
Les propositions, de 200 à 300 mots, sont à envoyer à l’organisateur avant la date limite, accompagnées d’une rapide notice bio-bibliographique.
Organisation
Comité scientifique
- Pascal Mougin
- Michel Bernard – Sorbonne nouvelle / THALIM
- Serge Bouchardon – Université de technologie de Compiègne
- Johanna Drucker – Université de Californie à Los Angeles
- Ioana Galleron – Sorbonne nouvelle
- Alexandre Gefen – CNRS / THALIM
- Pascal Mougin – Sorbonne nouvelle / THALIM
- Alexandra Saemmer – Université Paris 8
- Stéphane Vial – Université du Québec à Montréal
Présentation
Le numérique offre à la littérature de nouveaux environnements et outils d’écriture, de nouvelles modalités d’édition d’œuvres imprimées et de fonds d’archives, ainsi que de nouveaux moyens d’investigation sur les textes et l’histoire littéraire.
Dans tous les cas, l’« ontophanie numérique » (Vial 2013) accroît l’importance du visible dans le lisible. Qu’il soit nativement numérique ou provienne d’une numérisation, le texte sur écran ne s’en tient plus systématiquement au mimétisme prudent des standards de l’imprimé littéraire, lequel, depuis le xixe siècle, limite le plus souvent les variations visuelles et privilégie une typographie censément « neutre » (Richaudeau et Binisti 2005), au nom d’une conception idéaliste de la littérature détachant l’essence du texte de sa réalisation spatiale et concrète (Mougin 2019) – les contrexemples, de Mallarmé à Roubaud en passant par la poésie visuelle et concrète, faisant figure d’exception. Requis par la plasticité du numérique et sa « matérialité » spécifique (Hayles 2012), les écrivains du web comme les concepteurs d’éditions électroniques explorent les options visuelles offertes par l’écran et les fonctionnalités correspondantes. De même, là où les études littéraires traditionnelles reposaient presque exclusivement sur le discours et l’abstraction, les approches computationnelles – textométrie, distant reading – donnent lieu à des « imageries littéraires » inédites (Gefen 2015) pour la présentation des données procurées par les algorithmes : cartes, arbres et graphes (Moretti 2005), nuages de mots et autres schémas de réseaux venus de la statistique, de la linguistique de corpus et des sciences de l’information.
Les nouvelles visualités comme les nouvelles visualisations du littéraire rapprochent les auteurs et les chercheurs concernés des concepteurs de sites et d’applications, des graphistes, infographistes et des artistes visuels. Elles suscitent de nouvelles collaborations, des tuilages ou des cumuls de pratiques, voire une redéfinition des fonctions et des positions au gré, idéalement, des aspirations et les compétences de chacun.
Une des conséquences de cette situation est le rôle croissant joué par les interfaces. Si le phénomène caractérise, bien avant la littérature, tous les domaines affectés par le numérique, la recherche s’intéresse depuis quelques années aux enjeux de la conception des interfaces dans les sciences humaines et sociales (Thély et al. 2012, Vial 2016, Masure 2017) et distingue trois types de design en la matière, correspondant aux trois strates historiques des humanités numériques (Citton 2015) :
Un premier design par défaut, administratif et minimal, est celui des interfaces graphiques à base de gabarits, styles et thèmes préformatés et interchangeables, conçus comme le moyen d’une présentation neutre ou décorative, en bout de chaîne et à moindres frais, des fonds numérisés ou des résultats des recherches computationnelles.
Un second design, plus créatif, remet en question le primat accordé à l’ingénierie informatique et fait valoir les enjeux de la visualisation. De fait, l’interface d’un outil de recherche suggère des usages et des scénarios d’interrogation – une interface mal conçue pouvant condamner un projet d’humanités numériques dès lors que celui-ci suppose une collaboration entre concepteurs et utilisateurs. D’autre part, les résultats de la fouille des données n’ayant pas en eux-mêmes de formes visuelles intrinsèques, leur représentation implique des choix esthétiques qui font sens et sont constitutifs de la production des savoirs. Parce qu’il conditionne des expériences inédites des contenus, aide le chercheur à se dégager de ses présupposés et stimule sa créativité, le visuel peut être un facteur de sérendipité. D’où la nécessité de penser tout projet de numérisation, d’édition électronique ou de développement d’outils de recherche à partir de l’interface plutôt qu’à partir des données. Principale initiatrice de ce « tournant design des humanités numériques » (Vial, 2016), l’Américaine Johanna Drucker, elle-même artiste visuelle, poète, historienne de l’écrit et théoricienne des humanités numériques, insiste sur le rôle de la perception dans la conceptualisation et en appelle à une véritable « épistémologie visuelle » (Drucker, 2004).
Un troisième design, enfin, se veut critique. S’il reconnaît les vertus heuristiques et émancipatrices des interfaces, il souligne aussi les conditionnements qu’elles produisent en tant que dispositifs de contrôle de l’attention et de prescription des comportements. Ce design entend déjouer les effets de captation et de séduction en appliquant les méthodes déconstructrices des software studies – l’étude critique des logiciels (Fuller, Manovich) – aux sites et applications développés pour les sciences humaines et sociales.
Le but du colloque est de prolonger la réflexion sur le rôle du design dans les humanités numériques en l’appliquant plus spécifiquement au versant littéraire de celles-ci – à savoir la création littéraire sur le web, l’édition en ligne et la critique computationnelle –, comme y invite l’ouvrage récent de Christophe Schuwey (Interfaces. L’apport des humanités numériques à la littérature, 2019), pionnier en la matière dans le domaine francophone.
Il sera l’occasion d’un dialogue entre les différents acteurs concernés, auteurs adeptes de l’écriture en ligne et artistes de l’écrit numérique, concepteurs de sites littéraires, professionnels du graphisme et des interfaces, praticiens et théoriciens du design, spécialistes des relations entre arts visuels et littérature, chercheurs en humanités numériques et spécialistes de littérature intéressés par ces dernières.
On attend des intervenants :
– une approche sémiotique et historique des interfaces et des aspects visuels de l’écriture et de l’édition numérique ;
– une réflexion sur l’imagerie en usage dans le distant reading et la textométrie ;
– des comptes rendus d’expérience ou des études de cas concrets – écritures web, projets en humanités numériques littéraires – commentant les options visuelles retenues ou envisagées ;
– des approches théoriques plus larges.
On tentera ainsi de répondre aux questions suivantes :
– Comment se négocie le nouveau partage des responsabilités concernant la dimension visuelle de l’écrit entre les auteurs et les sites accueillant leurs écritures – qu’il s’agisse de pages personnelles, de plateformes collectives ou d’environnements génériques –, mais aussi entre les responsables de projets d’édition en ligne et les informaticiens auxquels ils s’adressent ? Comment écrivains et chercheurs collaborent-ils avec les artistes, les infographistes et les designers, selon qu’ils délèguent ou assurent eux-mêmes au moins en partie la typographie, la composition, l’animation, l’iconographie et l’interface de leurs productions ?
– Comment les artistes plasticiens qui s’intéressent au texte, au récit, à la littérature (Mougin 2017), interrogent-ils la dimension visuelle de l’écrit via le numérique ?
– Que deviennent en régime numérique les recherches qui ont marqué les avant-gardes du xxe siècle – poésie visuelle, poésie concrète, « typoésie » – mais restées longtemps à la marge de la littérature imprimée ? Rencontrent-elles les formes actuelles d’écritures web ?
– Quel serait en régime numérique l’équivalent de la « typographie invisible » qui prévaut aujourd’hui dans l’édition littéraire sur papier ?
– Quelles pratiques spécifiques d’écriture, de lecture et de recherche conditionnent ces nouvelles visualités et visualisations du littéraire ?
– Quels effets de sens intentionnels ou impensés produisent-elles ? Quels imaginaires, quelles mythologies, quelles idéologies du texte et de la science du texte, quelles figures de l’auteur et du critique véhiculent les mises en écran de la littérature quand elles se dégagent des codes de l’imprimé, ainsi que les imageries nouvelles auxquelles recourt la critique computationnelle ?
Programme prévisionnel
Le colloque se déroulera sur cinq ou six demi-journées, selon le nombre de propositions retenues en plus des communications des invités.
Les communications seront regroupées en quatre sessions (intitulés provisoires) :
1. Du papier à l’écran : une histoire des visualités du texte littéraire aux xxe-xxie siècles.
2. Design d’interfaces et plateformes de littérature en ligne.
3. Design d’interfaces et projets d’humanités numériques littéraires.
4. Critique littéraire et datavisualisation.
Par ailleurs, deux tables rondes sont envisagées :
1. Table ronde autour du travail de Johanna Drucker, à l’occasion de la parution de Visualisation. L’interprétation modélisante (éditions B42, 2020), premier ouvrage de l’auteure traduit en français.
2. Table ronde réunissant des professionnels du design graphique, des artistes visuels et des écrivains, sur les options possibles en matière de présentation du texte à l’écran et leurs enjeux.
Bibliographie indicative
- Bon François, Après le livre, Paris, Seuil, 2011
- Bon François, « Qu’est-ce que le web change à l’auteur de littérature ? », Tiers livre, septembre 2015
- Bouchardon Serge, La Valeur heuristique de la littérature numérique, Paris, Hermann, coll. « Cultures numériques », 2013
- Burdick Anne, Drucker Johanna, Lunenfeld Peter, Presner Todd, Schnapp Jeffrey, Digital_humanities, Cambridge (MA), MIT Press, 2012
- Citton Yves, « Humanités numériques : une médiapolitique des savoirs encore à inventer », Multitudes, n° 59, été 2015
- Drucker Johanna et Nowviskie Bethany, « Speculative Computing : Aesthetic Provocations in Humanities Computing », dans Susan Schreibman, Ray Siemens, John Unsworth (dir.), A Companion to Digital Humanities, Oxford, Blackwell, 2004
- Drucker Johanna, « Performative materiality and theoretical approaches to interface », Digital Humanities Quarterly, Vol. 7, No. 1, 2013
- Drucker Johanna, « De la lettre à l’écran. La migration des caractères », Back office [Paris, éditions B42], n° 3, septembre 2019, « Design graphique et pratiques numériques », p. 20-33.
- Drucker Johanna, Graphesis: visual forms of knowledge production, Cambridge (Ma) / Londres, Harvard University Press, 2014
- Drucker Johanna, SpecLab : Digital Aesthetics and Projects in Speculative Computing. University of Chicago Press, 2009
- Fuller Matthew (dir.), Software Studies : A Lexicon, Cambridge (Ma), MIT Press, coll. « Leonardo », xii+334 p., 2008
- Fuller Matthew, Behind the Blip : Essays on the Culture of Software, New York, Autonomedia, 2003
- Goldsmith Kenneth, L’Écriture sans écriture. Du langage à l’âge numérique [2011], traduit par François Bon, Paris, Jean Boîte éditions, 2018
- Galloway Alexander R., The Interface Effect, Cambridge (UK) / Malden (Ma), Polity Press, 2012
- Gefen Alexandre, « Le devenir numérique de la littérature française », Implications philosophiques, 2012
- Gefen Alexandre, « Les enjeux épistémologiques des humanités numériques », Socio, n° 4, 2015
- Gefen Alexandre (dir.), Critique, n° 819-820, août-septembre 2015, « Des chiffres et des lettres. Les Humanités Numériques »
- Genin Christine, « Le devenir Web de la littérature », Revue de la BNF, n° 52, 2016/1, p. 152-162
- Gervais Bertrand et Saemmer Alexandra (dir.), Protée, vol. 39, n° 1, printemps 2011, « Esthétiques numériques. Textes, structures, figures »
- Grafton Anthony, La Page, de l’Antiquité à l’ère numérique. Histoire, usages, esthétiques [2012], traduction de l’anglais (américain) par Jean-François Allain, Hazan / Louvre éditions, coll. « Bibliothèque Hazan », 2015
- Hayles N. Katherine, Lire et penser en milieux numériques. Attention, récits, technogenèse [2012], trad. de l’américain par C. Degoutin, Grenoble, Éditions littéraires et linguistiques de l’université de Grenoble, coll. « Savoirs littéraires et imaginaires scientifiques », 2016
- Kirschenbaum M. G., « So the Colors Cover the Wires’: Interface, Aesthetics, and Usability », dans Susan Schreibman, Ray Siemens, John Unsworth (dir.), A Companion to Digital Humanities, Oxford, Blackwell, 2004.
- Manovich Lev, « What is visualization », 2010
- Manovich Lev, Le Langage des nouveaux médias [2001], trad. Richard Crevier, Dijon, les Presses du réel, 2010
- Masure Anthony, Design et humanités numériques, Paris, éditions B42, coll. « Esthétique des données », 2017, 146 p.
- Moretti Franco, Graphes, cartes et arbres. Modèles abstraits pour une autre histoire de la littérature [2005], traduit par Etienne Dobenesque, Paris, les Prairies ordinaires, coll. « Penser-croiser », 2008
- Mougin Pascal, « Art, littérature : du séparatisme historique aux convergences actuelles », dans P. Mougin (dir.), La Tentation littéraire de l’art contemporain, Dijon, Les presses du réel, 2017
- Mougin Pascal, Moderne / contemporain. Art et littérature des années 1960 à nos jours, Dijon, Les presses du réel, 2019
- Palsky Gilles, « La Sémiologie graphique de Jacques Bertin a cinquante ans », Visions cartographiques, mis en ligne le 7 juin 2017
- Petitjean Anne-Marie et Houdart-Merot Violaine (dir.), Numérique et écriture littéraire. Mutations des pratiques, Paris, Hermann, 2015, 176 p.
- Richaudeau François et Binisti Olivier, Manuel de typographie et de mise en page. Du papier à l’écran, Paris, Retz, 2005
- Saemmer Alexandra, « Littératures numériques : tendances, perspectives, outils d’analyse », dans Petitjean Anne-Marie et Houdart-Merot Violaine (dir.), Numérique et écriture littéraire : mutations des pratiques, Paris, Hermann, 2015, p. 111-131
- Saemmer Alexandra, Matières textuelles sur support numérique, Presses de l’université de Saint-Étienne, 2007
- Schuwey Christophe, Interfaces. L’apport des humanités numériques à la littérature, Neuchâtel, Alphil, coll. « Focus », 2019
- Sinclair Stéfan, Ruecker Stan et Radzikowska Milena, « Information Visualization for Humanities Scholars », dans Literary Studies in the Digital Age: An Evolving Anthology, MLA Commons, 2013
- Thély Nicolas, Lartigaud David-Olivier et Rouffineau Gilles, « Rôle et enjeux du design graphique », dans THATCamp Paris 2012, OpenEdition, 2012, p. 169-175
- Vial Stéphane et Catoir-Brisson Marie-Julie (dir.), Design et innovation dans la chaîne du livre. Écrire, éditer, lire à l’ère numérique, Paris, PUF, 2017, 257 p.
- Vial Stéphane, « Le tournant design des humanités numériques », Revue française des sciences de l’information et de la communication, n° 8, 2016
- Vial Stéphane, L’Être et l’écran. Comment le numérique change la perception, Paris, PUF, 2013